Ce mois de Juin 2019 s’est terminé dans la souffrance pour les viticulteurs du Sud de la France. Gel, grêle, et maintenant canicule sont les nouveaux maux qui ravagent les vignes.
Le XXIème siècle est marqué par un réchauffement climatique qui, s’il trouve son origine dans l’activité humaine, sera long à régler et peut-être difficile à enrayer, et qui, s’il trouve son origine dans l’activité naturelle de notre belle planète bleue, ne nous laissera pas d’autres choix que de nous y adapter.
La diffusion sur Facebook d’une vidéo par Agence France Presse à propos des vignes brûlées par la canicule a été l’occasion de quelques échanges intéressants entre vignerons. Les paramètres très compliqués à résoudre dans cette équation climatique sont la soudaineté et la violence des phénomènes.
Qui pouvait prévoir que nous aurions de telles températures en une semaine alors que le printemps a été exceptionnellement froid ?
J’ai lu attentivement les commentaires de chaque vigneron sur la publication. Les premiers ont soulevé la problématique de l’enherbement du sol : l’herbe permet de retenir dans les sols une humidité bienvenue pour la vigne, mais les résultats fluctuent en fonction de la nature du sol : sur sol drainant de graves, l’herbe concurrence trop la vigne qui finit par mourir. Par ailleurs, un article de Midi Libre a révélé que des vignes de Syrah du domaine Mamaruta, cultivées en biodynamie, ont tout de même brûlé, malgré le couvert végétal : ce dernier est insuffisant pour résister à un épisode caniculaire d’une telle force.
D’autres vignerons préconisent l’agroforesterie (dont je parle ici). Guillaume Pire, vigneron du Château de Fosse-Sèche, en Loire, la pratique depuis quelques années : il écrit avoir planté plus de 3000 arbres en 5 ans autour de ses vignes et installé une centaine d’abris pour la faune. Il travaille en outre avec un naturaliste qui vient y répertorier la faune et la flore.
Il n’est pas le seul à tenter ce mode de culture, les domaines Emile Grelier (Bordeaux) et Saint-Jean du Barroux dans le Ventoux en appliquent déjà les principes. Il est vrai que les arbres et les haies offrent des protections contre le gel, ont un effet brise-vent et augmentent l’humidité atmosphérique en transpirant, limitant ainsi l’effet asséchant des températures caniculaires. L’ombre portée par les arbres protègent en outre des brûlures solaires. D’autre part, les prairies et les arbres permettent de capter le carbone de l’atmosphère et de le relâcher dans le sol, ce qui l’enrichit. On estime qu’une monoculture stocke environ 7 tonnes de carbone par hectare et par an dans le sol. Une double culture en rotation avec couverture permanente des sols permet d’en stocker 12,5 tonnes, et si l’on ajoute des arbres, on atteint 16,5 tonnes.
L’inconvénient est qu’il faut compter 10 ans pour qu’une haie soit efficace, et peut-être le double pour un arbre : certains pensent que c’est trop long, qu’il est déjà trop tard pour pouvoir faire machine arrière. Mais, en vérité, la seule certitude que nous avons est que nous ne savons pas du tout à quelle sauce nous allons être mangés dans les années à venir et qu’en attendant que nos actes portent leurs fruits, sachant qu’il faut attendre 10 ou 20 ans pour pouvoir en apprécier les bénéfices, il va bien falloir redoubler d’ingéniosité pour protéger la vigne de ces brutaux épisodes de canicule.
La solution se trouve peut-être dans un ancien écrit que je garde précieusement, De Re Rustica, écrit par Lucius-Junius-Moderatus Columelle né à Cadix en l’an II avant JC et qui cite, au sujet de l’épamprage des vignes :
« M. Columelle, mon oncle paternel, qui était un homme très instruit dans les beaux-arts, et l’agriculteur le plus attentif de la province de Bétique*, couvrait les vignes de nattes de palmier vers le lever de la Canicule**, parce qu’ordinairement, au temps où cette constellation paraît, certaines contrées de cette province sont si vexées par le vent du sud-est, appelé Vulturnus par les habitants, que si on n’y prenait pas le soin de couvrir les vignes, le fruit se consumerait comme si la flamme eût passé dessus. »
Ce qui m’intrigue, c’est le constat établi par les vignerons de l’Hérault : « les raisins ont grillé comme s’ils avaient été passés au chalumeau », disent-ils, alors que 2000 ans auparavant, Marcus Columelle savait que le « fruit se consumerait comme si la flamme eût passé dessus »…Nos vignerons héraultais auraient-ils été victimes de Vulturnus ? Faut-il prendre le soin de couvrir les vignes de nattes de palmier dès l’annonce d’une canicule ?
*La province de Bétique correspond à l’actuelle Andalousie
** La Canicule évoquée ici par Lucius Columelle est le nom romain de l’étoile Sirius : cet astre a la particularité de se lever et de se coucher avec le soleil entre le 24 juillet et le 24 août, la période généralement la plus chaude de l’été. Sirius autrefois nommé Canicula a donc donné son nom à ces phénomènes de fortes chaleurs.
Sources bibliographiques
Frédéric Denhez pour MMA , 2018_pei_seance_synthese journee_nationale_agroforesterie. pdf – 2018
Germain Cauffopé Midi Libre, Littoral audois : quand la canicule brûle littéralement la vigne– 2 Juillet 2019
M. Nisard , Les Agronomes Latins CATON, VARRON, COLUMELLE, PALLADIUS – Traduction française – 1844