Cela fait plus de trente ans que je suis abonnée à la L.P.O. (Ligue Protectrice des Oiseaux), car je nourris depuis toujours une fascination pour ces êtres vivants totalement libres, capables de voir le monde d’en haut et de nous annoncer le changement des saisons par leurs joyeux gazouillis.

C’est en parcourant le magazine de l’association que j’ai découvert un article consacré aux partenariats que la LPO a noué avec des viticulteurs girondins, dont la famille VINET, du domaine Émile GRELIER, classé refuge LPO.
J’ai eu la chance de rencontrer en personne Delphine VINET, une femme pleine de vie et de courage, passionnée par les expériences menées au domaine où l’on recherche avant tout l’harmonie et l’équilibre. Laissez-moi devenir sa plume, elle vous raconte son histoire…

Naissance du domaine

Benoît et Delphine VINET sont partis de zéro, créant le vignoble de toute pièce en 2002: sur une parcelle en friche de 8 hectares située à Lapouyade, ils plantent des ceps de Merlot qu’ils décident d’exploiter selon les principes de l’agroforesterie, dont les grandes lignes sont décrites ici.

Grâce aux connaissances acquises à la ferme de polyculture bio de ses parents, Benoît souhaite inscrire son vignoble dans une démarche respectueuse du monde animal et végétal en protégeant la biodiversité de ce lieu. Un travail gargantuesque tant il sollicite de connaissances sur les interactions entre les différentes espèces animales, les micro-organismes et les plantes. Pour cela, le domaine fait appel à différentes associations au service de la nature et l’environnement, dont la LPO.

Viticulture et Agroforesterie

Agroforesterie – Photo: Domaine Emile Grelier©

  « Nous avons réintroduit les arbres au milieu des vignes, avec une densité d’environ 40 arbres par hectares. 3/4 d’entre eux sont des arbres fruitiers, dont nous récoltons la production, et 1/4 sont des feuillus comme le Tilleul ou l’Orme. Nous n’inventons rien, nous revenons juste à des pratiques gallo-romaines ! N’oublions pas que les romains faisaient pousser leur vignes le long des arbres ! Notre vignoble est un laboratoire à ciel ouvert pour les associations avec qui nous travaillons, tout est suivi et mesuré ! » me confie Delphine.
Je lui demande alors ce qui est mesuré exactement, elle me répond: « Prenons un exemple tout simple: nous devons nous battre contre un ravageur, un papillon de nuit qui pond dans les raisins. Etant en bio et ne voulant pas utiliser de produits phytosanitaires, nous avons décidé de « travailler » avec les chauves-souris. L’analyse de leur activité nocturne, mesurée par des capteurs sensibles aux ultra-sons produits par ces petites mammifères volants, a révélé que ces derniers ne passaient pas dans les champs de vignes. Ce phénomène s’explique par le fait que les chauves-souris sont aveugles et se déplacent grâce à leur sonar. Les ultra-sons sont renvoyés sous forme d’écho par les éléments présents dans l’environnement. Hors, la vigne, rectiligne, n’offre aucun relief et donc aucun obstacle permettant aux chauves-souris de s’y diriger. Nous avons donc pallié à ce défaut en donnant au vignoble le relief suffisant (arbres et haies) pour permettre aux chauves-souris de s’y déplacer aisément pour chasser le papillon nocturne, dont on a pu constaté une nette diminution de la population depuis.»

Vignoble Emile Grelier: ses vignes avec ses arbres, ses gîtes, ses nichoirs, ses hôtels à insectes,etc.

Au final, sur ces 8 ha de terrain, on ne compte pas moins de 448 mètres de haies, 357 arbres, 50 nichoirs, 4 hôtels à insectes, 10 gîtes à chauves-souris, 6 mares, 7 cabanes à hérissons et 15 plaques à serpents !

A la vigne

Le domaine utilise la taille courte en Cordon de Royat pour réguler la vigueur des ceps: « Si tout est fait pour leur garantir une vitalité maximale, nous maîtrisons en revanche la vigueur de nos ceps grâce la taille en cordon de Royat car cette dernière permet non seulement d’en limiter le rendement mais aussi d’améliorer la disposition des grappes de façon à ce qu’elles soient bien aérées et ne se touchent pas. Cela évite la propagation des maladies cryptogamiques. Nous ne pratiquons ni tonte, ni labours. Nous semons une trentaine de plantes différentes entre les vignes: légumineuses, persil, fleurs, etc ».

Les vignes s’épanouissent dans un sol datant l’Oligocène inférieur et supérieur (-33 et -23 millions d’années): il est constitué d’une part de sables argileux verdâtres à bleuâtres avec graviers et galets surmontés par des argiles très silteuses dont la capacité de rétention d’eau est une aubaine pour le Merlot qui adore les sols frais, et d’autre part de sables feldspathiques et argiles vertes silteuses.

Terroir du domaine Emile Grelier. En grisé: le domaine. En vert: les bois appartenant au domaine. En orangé: les sols de l’Oligocène supérieur (-23 millions d’années) où sont plantées les vignes. En violet pâle: les sols de l’Oligocène inférieur (-33 millions d’années) où sont également plantées les vignes. En violet foncé: les molasses du Fronsadais, où il n’y a pas de vignes mais uniquement des prairies.

Les plants sont soignés selon les principes de la Biodynamie, même si le domaine n’en a pas la certification : « Nous ne sommes pas encore prêt pour la biodynamie », avoue Delphine. «Benoît est méthodique et rigoureux, il n’aime pas que les choses soient faites à moitié. Lorsqu’il se sentira prêt, nous demanderons la certification. En attendant nous préparons tous nos purins (ortie, prêle, pissenlit, etc.) et nous respectons le calendrier lunaire pour nos interventions dans la vigne. »

Au chai

Le domaine ne possède pas encore de chai : « Nous avançons lentement et progressivement. Pour l’instant la construction d’un chai n’est pas encore possible. Nous nous sommes tournés vers la cave des Vignerons de Tutiac qui nous loue les cuves et le matériel vinaire. Cela nous permet de bénéficier de l’expertise du maître de chai et de l’oenologue. Mais par-dessous tout, ce système nous a permis de rencontrer d’autres vignerons que notre méthode de travail intéresse. Nous les aidons ainsi à se tourner progressivement vers l’agroforesterie et la culture biologique», me confie Delphine.
Depuis 2016, Benoît met en place un mode opératoire au chai pour vinifier avec des levures indigènes qu’il prend le soin de sélectionner. Pour cela, il utilise 4 cuves tests dans lesquelles les raisins fermentent: celle pour laquelle la fermentation a démarré spontanément en étant la plus active est retenue. Les levures y sont sélectionnées puis élevées dans un levain, comme pour le pain. Elles permettront ensuite d’ensemencer les moûts afin de garantir une fermentation efficace et réussie.

Quant aux vins, ils s’expriment admirablement bien. Très identitaire, le merlot s’affirme aux travers de notes épicées et réglissées accompagnées d’agréables parfums de fruits noirs croquants. Une belle réussite, ce domaine est à découvrir absolument !