Le nom d’ « agroforesterie » apparaît vers la fin des années 1970. Il peut parfois prêter à confusion, le terme de « foresterie » évoquant la forêt plus que l’agriculture. Pourtant, il s’agit bien de définir une pratique d’agriculture ou d’élevage associant la présence d’arbres.

Cette pratique, même si son concept scientifique est récent, n’est qu’un retour à de très vieilles techniques d’agriculture consistant à associer l’élevage et les cultures à l’arboriculture.
Si les arbres, du temps de Pline l’Ancien (23-79 ap JC), étaient alors « les temples des divinités », ils sont devenus très vite l’ennemi de l’agriculture, véritable frein à la mécanisation. C’est à l’époque de l’Europe gallo-romaine, puis au Moyen-Âge que l’on assiste à la séparation progressive et définitive de ces trois cultures que l’agriculture moderne va pousser à l’extrême: la forêt d’une part, désormais domaine exclusif des forestiers et du gibier, les différentes cultures d’autre part, ne tolérant aucune plante gênante, et enfin les prairies d’élevage où les travaux mécanisés ont provoqué la disparition progressive des arbres. Cette séparation des activités agricoles n’est pas sans conséquences, fragilisant les terres et favorisant leur érosion.

L’agroforesterie a pour but de revaloriser les sols et s’inscrit parfaitement dans le cadre du développement durable.
Diverses interactions écologiques entre arbres et cultures peuvent se produire:

  • création d’un microclimat en jouant sur la luminosité, l’humidité des sols et la température ambiante,
  • accroissement de la fertilité du sol grâce à la formation d’humus, et lutte contre l’érosion grâce aux racines,
  • amélioration de l’activité des micro-organismes présents dans le sol et par conséquent des mycorhizes racinaires et des bactéries symbiotiques, pour un renforcement des défenses immunitaires des plants contre les ravageurs et les parasites.

Mais ces actions ne sont bénéfiques que si l’on gère de façon minutieuse l’agroforesterie, en veillant à ce que les arbres ne nuisent pas aux cultures (trop d’ombre pour des céréales exigeantes en lumière, par exemple, ou concurrence trop forte pour les ressources), c’est pourquoi le choix du couple arbre-culture doit être soigneusement réfléchi.

L’agroforesterie ouvre de nouvelles perspectives, tant sur le plan économique que sur le plan écologique: sur le plan économique, elle permet de s’affranchir de l’utilisation de produits phytosanitaires (pesticides, herbicides), et sur le plan écologique, elle offre un habitat dans lequel peuvent vivre des espèces forestières variés (oiseaux, insectes) nécessaires à la régulation des espèces nuisibles.

La viticulture moderne a, en effet, façonné les paysages de nos régions en de vastes étendues où les pieds de vigne s’alignent sur un sol dénudé et sec; ce système monocultural expose particulièrement les plants aux aléas climatiques comme les fortes pluies de printemps qui inondent les vignes des plaines ou le gel qui détruit les jeunes bourgeons. La faible concentration d’insectes pollinisateurs a un impact sur les rendements, et les herbicides et pesticides répandus dans les parcelles nuisent aux micro-organismes du sol avec lesquels la vigne ne peut donc plus établir de liens symbiotiques lui permettant de mieux lutter contre les ravageurs et les parasites.

L’Agriculture Biologique et la Biodynamie furent une première étape dans la protection de l’environnement, mais elles ont montré leurs limites lors des aléas climatiques de ces dernières années : face au gel et aux attaques cryptogamiques, la lutte biologique, notamment par l’intermédiaire du cuivre, seul antifongique autorisé, n’a pas permis de sauver les récoltes. Certains vignerons ont préféré perdre leur certification AB pour pouvoir utiliser les produits phytosanitaires classiques, d’autres ont conservé leur certification mais ont perdu la quasi-totalité de leurs récoltes. Les changements climatiques que nous subissons actuellement n’augurent rien de bon pour les années à venir, il est peut-être temps de repenser nos méthodes agricoles…

Photo: Domaine Emile Grelier©

Quelques vignerons se sont déjà tournés vers l’agroforesterie; ils sont, à mes yeux, ceux qui s’engagent avec le plus de sincérité dans le développement durable. Loin de se contenter d’un simple logo, ils ont décidé de redessiner le paysage viticole. Philippe Gimel, dont je parle ici, fut l’un des premiers à développer l’agroforesterie, même s’il n’en parle pas vraiment. Ou, plus exactement, a-t-il préservé et enrichi ce qui existait déjà au domaine Saint-Jean du Barroux, où les vignes sont cultivées en terrasse et les parcelles délimitées par des haies et des arbres fruitiers. Fasciné par l’extraordinaire biodiversité présente sur ces terres du Ventoux, Philippe Gimel entretient ce jardin avec passion, en laissant les herbes folles, la lavande, le thym, et les fleurs endémiques envelopper les pieds de vignes. Je ne suis pas étonnée de retrouver des parfums de garrigue dans ses vins, car ces plantes communiquent leurs arômes aux vignes par le biais des racines; un fait déjà connu du temps de Pline L’Ancien, lorsqu’en 77 après JC, il écrivit, dans son encyclopédie Histoire Naturelle, que « la vigne a la propriété merveilleuse de contracter la saveur des plantes voisines »; une propriété que les romains exploitaient pour produire de l’ « elléborite », un vin fabriqué avec les raisins issus de vignes complantées d’ellébore noir.

Photo: domaine Emile Grelier©

Un autre domaine viticole pratique l’agroforesterie avec une énergie et une conviction rares. Véritable laboratoire à ciel ouvert, le domaine Emile GRELIER, situé en Gironde, a crée de toute pièce son vignoble, s’appuyant sur les connaissances de diverses associations pour former ce véritable refuge pour la faune et la flore sauvages. Les haies offrent à la fois une protection contre le vent et un habitat de premier choix pour les insectes. Des arbres fruitiers ponctuent la parcelle de vignes, formant un relief indispensable pour le déplacement des chauves-souris, véritables prédatrices des papillons nuisibles à la vigne.
On y trouve également des refuges pour hérissons et serpents, des mares servant d’abreuvoir naturel aux animaux, des nichoirs pour les oiseaux, friands de chenilles et d’insectes, et bien sûr un parterre de fleurs et de plantes aromatiques pour les pollinisateurs.
Afin de lutter contre les maladies cryptogamiques, le domaine Emile Grelier utilise la même technique que Philippe Gimel: une taille sévère afin que les grappes soient suffisamment aérées pour limiter la propagation des champignons, ce qui se traduit par des rendements faibles dès le départ. Malheureusement, cette technique ne dispense pas de l’utilisation du cuivre en cas de forte attaque du mildiou, un fléau contre lequel nous essayons encore de trouver un moyen de lutte efficace et non polluant.
Un troisième domaine en agroforesterie a rejoint la liste de ceux que nous avons découvert: le château COUTET, à Saint-Emilion. Les vignes sont depuis longtemps plantées dans des parcelles ceintes de haies et ponctuées de vieux chênes, et, cerise sur le gâteau, les sols n’ont pas connu une goutte de produits phytosanitaires. Aucune chimie  ne fût employée pour la culture des vignes depuis plus de deux siècles et la famille DAVID-BEAULIEU n’en est pas peu fière. Le domaine met d’ailleurs ses terres à disposition des laboratoires qui viennent y prélever des échantillons en vue d’analyses microbactériologiques.

Je suis totalement convaincue qu’un changement de nos méthodes agricoles est indispensable pour redonner à notre planète une force et une vigueur qu’elle nous communiquera à son tour. La science nous a donné la connaissance, elle nous permet d’analyser chacun des micro-organismes qui vivent sous nos pieds et d’établir le rôle et l’importance des millions de microbes qui colonisent les sols et les plantes.
Connaître chaque arbre, chaque herbe, chaque ver de terre et chaque bactérie qui nous entourent va nous permettre de lutter plus efficacement contre les nuisibles en exploitant leurs faiblesses pour les détourner de ce que nous voulons sauver.


Sources bibliographiques

Pline l’Ancien, Histoire naturelle – 77 ap JC
Emmanuel TORQUEBIAU, L’Agroforesterie, des arbres et des champs – 2007
Marc-André SELOSSE, Jamais seul – Juin 2017