Vous avez certainement vu apparaître la mention « vin nature » ou « sans sulfites ajoutés » sur les étiquettes de certaines bouteilles de vin. Ces vins « nature », qui se veulent le moins « travaillés » par l’homme pour être le résultat d’un processus le plus « naturel » possible, me laissent dubitative.
Sans intervention de l’homme, le vin ne peut être. Ouvrez donc un missel romain !

« Tu es béni Seigneur,
Dieu de l’Univers,
Toi qui nous donne ce vin,
fruit de la vigne et du travail des hommes. »

Parce que sans le travail des hommes, le vin ne peut exister: «Rien n’est, en effet, plus conçu, pensé, élaboré que le vin. Et plus le vin est bon, plus cela signifie que la nature a été contrariée, bousculée, empêchée d’agir puisque la destinée logique et scientifique du jus de raisin pressé est le vinaigre », écrit Périco Légasse.

J’attire l’attention sur le fait que je parle ici des vins dits « nature », un qualificatif qui les distingue de leurs homologues « bio » ou « naturels » par le fait qu’ils sont vinifiés sans sulfites ajoutés.
D’ailleurs, un vin peut-être labellisé comme « nature » et « sans sulfites ajoutés » sans qu’il soit certifié bio. Ce sont deux choses différentes ; mon point concerne uniquement les vins sans SO2 ajouté, quelque soit le mode de culture pratiqué par le domaine.

Cette lutte anti-sulfitage n’a à mon sens d’intérêt que si elle est remplaçée par un autre moyen antiseptique et antioxydant naturel; malheureusement, aucun procédé ni aucune substance n’a la capacité, à ce jour, de remplacer le SO2 tant son spectre d’action est large.

Un tri sévère des raisins à la vendange, une hygiène irréprochable dans les chais ainsi que des techniques alternatives permettent d’en limiter l’emploi (pour connaître le rôle des sulfites, reportez-vous à l’article «les sulfites et le vin»), et d’en réduire fortement les doses, mais la technique du sulfitage a été le seul et l’unique moyen trouvé, après des siècles et des siècles de réflexion, pour éviter que le vin ne devienne vinaigre ou ne développe des maladies dans le temps. D’autant plus que le SO2 dit « libre » disparaît progressivement dans le vin, comme le souligne le Dr Henry Mercier, en 1936: «l’acide sulfureux libre pourra sans inconvénient disparaître complètement par oxydation lente, ce qui n’est pas un des moindres avantages de l’anhydride sulfureux que de pouvoir diminuer puis disparaître, son rôle achevé, sans avoir altéré les qualités propres du vin. Mais pour atteindre ce résultat, il faut savoir proportionner, au moment de la mise en bouteille , la quantité d’acide sulfureux libre pour qu’elle ne soit pas trop élevée tout en restant suffisante ».

Petite parenthèse explicative: Lorsque l’on ajoute du SO2 au moût, une fraction de celui-ci se combine au vin jusqu’à une certaine dose ( c’est le SO2 combiné), la partie restante demeure à l’état libre, c’est le fameux SO2 libre cité ci-dessus dont une fraction est dite « active », on parle alors de SO2 actif car c’est sous cette forme que le soufre possède l’action antiseptique recherchée par les vignerons. Le SO2 total mesuré dans le vin correspond à la somme du taux de SO2 combiné et du SO2 libre.

A quoi s’expose-t-on avec le vin sans sulfites ajoutés, alors ?

Des tests ont été réalisés en 2014 par l’Institut Français de la Vigne et du Vin (IFV) sur des vins peu sulfités (teneur de SO2 < 10mg/l). Les résultats publiés montrent une présence plus conséquente de micro-organismes qui, même si une filtration soignée permet d’en éliminer la majorité, présente un risque durant l’élevage et pose la question de la bonne tenue de ces vins dans le temps.
Mais l’impact majeur, souvent rédhibitoire, constaté par l’IFV sur ces vins peu sulfités, se trouve sur le plan organoleptique : défaut d’oxydation avec disparition des arômes fruités au profit d’arômes de fruits trop évolués ou d’un début d’acescence. L’ISV conclut, à l’issu de cette batterie de tests, que « ne pas sulfiter durant l’itinéraire d’élaboration d’un vin reste une pratique hasardeuse et non recommandable ».

J’ai eu l’occasion de déguster des échantillons de vins sans SO2 ajouté. Il s’agissait de vins jeunes, 1/3 d’entre eux n’étaient malheureusement que vinaigre ou en passe de le devenir. En revanche, les bouteilles qui avaient survécu aux déviances liées à l’absence de soufre étaient correctes, mais les doutes sur leur capacité au vieillissement ainsi que leur extrême sensibilité à l’environnement ne me permettent pas de les considérer comme des vins de grande qualité.

La capacité de conservation d’un vin et de sa tenue dans le temps, en cave ou après avoir été entamé, est un critère très important à mes yeux. Ceux qui sont peu sulfités sont souvent trop fragiles et peuvent vite dégénérer. Les seuls vins sans sulfites ajoutés qui ont prouvé leur tenue dans le temps sont les vins en qvevris ou en amphore (tel Dolia 2009 du domaine Viret, qui en 2018, n’a pas bougé d’un iota ou les vins en Qvevris de 2011 du domaine Bannwarth), je leur ai consacré un billet ici.
En outre, lorsque le vigneron indique que ses bouteilles ne doivent pas être exposées à une température dépassant les 13°C, je préfère passer mon chemin…