Le vignoble Sancerrois se situe en plein cœur du Berry. Il est le plus accidenté des vignobles du Centre-Loire, constitué d’une série de vallons et de coteaux dont la formation remonte à l’ère tertiaire, lorsque la plaque Africaine entra en collision avec la plaque Européenne, entraînant la formation des principales chaînes de montagnes et des grands bassins sédimentaires, il y a environ 5 Millions d’années.

Au sein de ce vignoble aux paysages fascinants, se cache un hameau viticole où les vins ont depuis longtemps forte réputation: Chavignol. Il possède une telle diversité de sols entre vallons et coteaux qu’en 1777, l’Abbé Poupard écrivit, à propos des vins de Chavignol qu’ «il seroit difficile de choisir entre les vins de ces différentes côtes ; cinquante pas de plus ou de moins suffisent d’une vigne à une autre pour y mettre de la différence». La qualité des vins produits les distingue parmi ceux des autres communes: «Les villages de Chavignol et Asmigny, Paroisse de Sancerre, produisent, tant en rouge qu’en blanc, d’excellent vin d’une vivacité particulière», écrivait l’abbé Poupard. Il nous apprend également que le commerce des vins de Sancerre est déjà prospère au 18è siècle, ces derniers se transportent «au loin dans le Berry, le Bourbonnois & le Nivernois ; mais la plus grande partie passe à Paris, par la Loire & par le canal de Briare, qui est d’une utilité infinie pour le pays. J’ai vu quelquefois les habitans de Sancerre envoyer leur vin en Angleterre & en Ecosse».

 

Etude des sols de Chavignol.

Le terroir de Chavignol se compose de deux sols distincts: les «caillottes» et «griottes», qui tapissent le vallon de Chavignol, et les «Terres Blanches» situées sur les coteaux. Les terres argilo-silicieuses, plus rares, se situe à l’Est de la faille de Sancerre, en général sur des buttes comme celles de Saint-Satur ou de Sancerre.

Fig 1 – Coupe géologique de Sancerre (extrait du Grand Atlas Des Vignobles de France)

Pour bien comprendre cette variation de sols si distincts les uns des autres, il faut remonter à la fin de l’ère tertiaire, lorsque les mouvements tectoniques des plaques ont donné naissance aux deux principales failles de Sancerre et de Thauvenay, mettant ainsi en contact des étages géologiques non consécutifs, comme le montre la figure 1 : pile au niveau de la faille, les couches kimméridgiennes du Jurassique (formées entre 154 et 135 millions d’années avant notre ère) côtoient les formations «Cénomanien» et «Hauterivien» du Crétacée (il y a 96 millions d’années)  et celles de l’Eocène (il y a 50 millions d’année).

Si l’on fait un zoom sur le terroir de Chavignol, voici les différentes couches géologiques qui y affleurent:

 

Fig 2 – Géologie du vignoble de Chavignol (Extrait du livre « Voyage dans un paysage LE VIGNOBLE CHAVIGNOL » de Thibaut Boulay)

 

Fig 3 – Echelle Stratigraphiques

Si l’on regarde la carte du temps géologique, on constate que le Jurassique Supérieur est formé de trois étages: le plus ancien – l’Oxfordien – suivi du Kimméridgien, puis le dernier, formé à la fin du Jurassique Supérieur, le Tithonien; chaque étage représente entre 5 et 10 Millions d’années.
L’observation de la carte du vignoble de Chavignol (fig 2) nous indique que les sols surnommés «griottes» – ou «calcaires crayeux de Bourges» – qui tapissent le vallon se sont formés à l’étage Oxfordien supérieur. Puis en remontant vers l’Ouest, la nature du sol change, on est en présence des «caillottes» – ou «calcaires de Buzançais» – formés à l’étage kimméridgien inférieur qui se caractérisent par du calcaire lité, que les gels successifs ont cassé en fines plaquettes. Puis en remontant le coteau Ouest, apparaissent les «Terres Blanches», des marnes kimméridgiennes, gorgées de fossiles d’huîtres et de coquillages appelées également marnes à «Exogyra Virgula», du nom de la fameuse petite huître fossilisée. Ces marnes bleutées, qui forment une terre collante par temps humide, blanchissent au soleil, d’où leur surnom de «terres blanches».

Ces fossiles de coquillages témoignent de la présence d’eau à cette époque. En effet, au Jurassique, la mer envahit la majeure partie de la France, dont le relief était alors très plat. Le climat y était chaud et humide, de type tropical, favorable au développement d’une barrière de corail. La figure 4 ci-dessous représente la situation continentale et marine de la Terre au Jurassique moyen et supérieur. Les beaux terroirs de Chavignol étaient en pleine construction, sous une lagune chaude et peu profonde pendant le Jurassique moyen.

Fig 4 – La « France » au Jurassique moyen et supérieur – Extrait du site « vinsvignesvignerons.com ».

Au Jurassique supérieur, la mer devient plus profonde, devenant une vasière marine et témoignant de nombreux changements climatiques. Il faut attendre la fin du jurassique/début du crétacé pour que la mer se retire petit à petit, laissant place au continent.

Fig 5 – La « France » à l’Eocène. – Extrait du site « vinsvignesvignerons.com ».

Les « Crus » de Chavignol – 2 coteaux réputés

Chavignol ne bénéficie pas de sa propre appellation village, les vins sont commercialisés sous l’appellation Sancerre. Mais certains vignerons font apparaître le nom du village sur l’étiquette. La diversité des sols est telle que les vins présentent des profils aromatiques bien différents selon qu’ils proviennent de Chavignol ou de Sancerre même. Comme le souligne très justement Jean-Robert Pitte, président de l’Académie des Vins de France, il serait intéressant de décliner les Sancerre en 1er crus ou grands crus, plutôt que de chercher à obtenir une AOC village. Car Chavignol possède deux terroirs exceptionnels sur ses coteaux: La côte des Monts Damnés et le Cul de Beaujeu.

  • Le Cul de Beaujeu.

A Sancerre, comme partout en Europe, l’église joua un rôle important dans le développement de la viticulture. Les vins étaient destinés à la célébration de l’office divin et au devoir d’hospitalité, et les seigneureries de Bué, Chavignol et Sury-en-Vaux, propriété du chapitre de la cathédrale de Saint-Etienne de Bourges, fournissaient les vins destinés aux messes.

Un de ces vignobles seigneuriaux faisaient la fierté du chapitre : Le Clos de Beaujeu, qui portait autrefois le nom de «Clausus de Bellojoco» en 1328, puis celui de «Cloux de Beaugeu» avant de devenir, au 19è s et par déformation de langage, «Cul de Beaujeu». On y produisait un vin blanc d’une telle qualité que les chanoines le destinaient pour tous les présents et dons qu’ils souhaitaient faire.
Constitué d’un sol de marnes kimméridgiennes gorgées de fossiles d’huîtres (les fameuses «Terres Blanches»), le Cul de Beaujeu présente une déclivité qui rend les travaux viticoles difficiles. Ce terroir est planté de Sauvignon blanc, à l’exception de la parcelle détenue par le Domaine Delaporte qui l’a plantée en rouge. Une petite fantaisie, qui, il faut le reconnaître, vaut le détour: le pinot noir du Cul de Beaujeu offre une expression aromatique unique à ce vin profond, intense, et complexe, qui m’a marquée par son identité et son caractère. (lire le petit billet Cul de Beaujeu).

Fig 4 – Le Cul de Beaujeu et les Monts-Damnés, vu depuis le lieu-dit « Les Echeneaux » – Extrait du livre « Voyage dans un paysage LE VIGNOBLE CHAVIGNOL », de Thibaut Boulay.

 

  • Les Monts-Damnés

Je me suis demandée pourquoi cet endroit était surnommé «Monts Damnés». La réponse n’est pas immédiate: certains l’attribuent au fait que ce coteau est particulièrement abrupt et son orientation plein sud le rend très difficile à travailler en pleine chaleur estivale.
Mais le nom «Monts-Damnés» pourraient tirer son origine des mots latins «Mon=hauteur» et «Dominus=maître». Au fil des siècles, le nom de ce vignoble a subi de nombreux changements. Désigné sous le nom de Montdampni en 1252, il devient vignoble de Mouldannay en 1449 puis territoire de Mondannain en 1450 avant de revenir à Mondampnay en 1483, puis vignoble de Mondampné en 1621, La coste de Mont Dannay en 1673, et La côte de Mondanné en 1677. Tous ces changements orthographiques ne nous permettent malheureusement pas d’établir de façon péremptoire l’étymologie de ce nom.

D’un point de vue géologique, les «Monts-Damnés», comme l’antique «Clos de Beaujeu», ou la «Côte d’Amigny», offrent le même sol de marnes kimméridgiennes appelées «Terres Blanches», seule diffère l’exposition car la côte des Monts Damnés est orientée plein sud, ce qui accentue la pénibilité du travail sur ces pentes ensoleillées dont la déclivité peut dépasser les 40%.

L’encépagement est constitué majoritairement de Sauvignon Blanc, une variété qui s’épanouit dans ce sol de marnes dont elle en apprécie tant les argiles: les vins blancs produits y sont puissants et chauds, à l’exception des «vignes de la Comtesse», parcelles situées en partie médiane des Monts-Damnés où les marnes kimméridgiennes reposent sur les calcaires du Buzençais et donnent des vins blancs plus délicats et plus fins. En montant sur les dernières hauteurs des Monts-Damnés, le Sauvignon blanc laisse la place au Pinot Noir, seul cépage sancerrois capable de s’accommoder de ces affleurements de calcaires lités datant de l’Oxfordien où l’argile se fait rare.

Biodiversité à Chavignol

Matthieu Delaporte, vigneron à Chavignol, m’avait intriguée lors d’une discussion que j’avais eu avec lui et que je résume brièvement dans mon billet «Portrait – Matthieu Delaporte»: son engagement dans une viticulture propre et respectueuse de son environnement, sans fanatisme, ni fourberies commerciales, m’avait agréablement surprise.

Mais il faut reconnaître que le vignoble de Chavignol s’y prête particulièrement, car il a conservé encore une grande partie des espaces de biodiversité plantés des siècles auparavant. Les parcelles de vignes sont entourées d’arbres et de petits bois, et certaines, situées au Cul de Beaujeu, disposent encore de haies permettant d’éviter l’érosion des sols et de freiner l’activité des ravageurs de la vigne grâce à un habitat adapté qu’elles offrent à la faune auxiliaire.
Les pelouses sèches des Luneaux (voir fig 2) font partie des espaces préservés Natura 2000, c’est un lieu privilégié où l’on peut contempler des orchidées sauvages et nombre de plantes médicinales.
La conservation de ce parcellaire resté quasi-conforme à celui de l’Ancien Régime fait de la commune de Sancerre une figure d’exception dans les paysages viticoles. Considéré comme une «zone écologique réservoir» unique (ZER), Chavignol fait l’objet d’une étude qui permettra à terme de favoriser la réintroduction de ces ZER dans nos paysages viticoles afin de  réguler naturellement les ravageurs de la vigne.


Sources bibliographiques

Jean de Lery, Histoire mémorable de la ville de Sancerre – 1572
La Revue de la Nièvre & du CentreAnnée 2, Numéro 1, 1925
Abbé Poupard, Histoire de la ville de Sancerre – 1777
Ch. Frankel, Terre de Vignes – 2011
Thibaut Boulay, Voyage dans un paysage LE VIGNOBLE CHAVIGNOL – 2017
Benoît France, Grand Atlas des Vignobles de France – 2008
http://www.vinsvignesvignerons.com