Philippe GIMEL – Photo: Philippe Gimel.

Il faut l’écouter pour comprendre qu’il y met tout son coeur et ses tripes. Attaché à des principes dont aucun phénomène de mode ne pourra l’en détourner, Philippe GIMEL est considéré comme un extraterrestre dans la région.

Quelques instants d’observation et ce fut pour lui l’évidence: le Ventoux offre une richesse géologique et une biodiversité uniques, propices à l’élaboration de beaux vins identitaires.

 

Lorrain d’origine, Philippe quitta la faculté de pharmacie pour se tourner vers des études oenologiques dont il sortira diplômé en 1999.

Après quelques années passées à travailler dans différents domaines dont les célèbres Château Beaucastel et domaine de la Janasse, il décide de voler de ses propres ailes et rachète, en 2003, le vignoble de Saint-Jean du Barroux, dans la commune du Barroux.

Situé sur le flanc Nord-Ouest du mont Ventoux, les 12,5 ha de vignes (plus 3,5 ha supplémentaires cette année) sont plantées en terrasses sur un terroir d’un beau potentiel entouré par 4 ha de bois. Tout le vignoble repose sur un sol offrant des couches géologiques très variées, « jusqu’à six couches géologiques différentes ! », m’explique Philippe.

Ce phénomène, semblable à celui rencontré sur le terroir de Chavignol dans le Sancerrois, trouve son explication dans l’activité tectonique des plaques de notre vieille terre, provoquant il y’a bien longtemps, une fracture de la croûte terrestre, appelée la faille de Nîmes, et mettant ainsi en contact des étages géologiques d’époques différentes: les plus anciennes strates du Trias (il y’a 230 millions d’années), côtoient celles de l’Oligocène (il y’a 28 millions d’années), offrant par-ci par-là des couches géologiques intermédiaires et par conséquent des sols très variés de calcaires à silex, de marnes calcaires et marnes à fossiles…

Vignes de Saint-Jean Du Barroux – Photo: Ph. Gimel

Le Terroir

Carte 1 : Le Barroux – Entre le Mont Ventoux et les Dentelles de Montmirail

Niché entre le Mont Ventoux à l’Est et les dentelles de Montmirail à l’Ouest, Saint-Jean du Barroux bénéficie d’une diversité de terroirs peu commune. La nature des sols et leur morphologie y sont très variées: les zones fertiles de la plaine favorisent les cultures maraîchères et fruitières, tandis que l’on retrouve les cultures viticoles sur les coteaux en pentes douces.

Carte 2: Carte Géologique de Sain-Jean Du Barroux et alentours.

La carte n°2 ci-dessus nous donne un bon aperçu de la variété des différentes couches géologiques représentées par une couleur différente. Les zones rose pâle hâchurées de noir représentent les différentes parcelles de vignes du domaine avec leur nom.

Les parcelles situées aux lieux-dits « Saint-Jean » et « Piè Conieu » ont un sol constitué de Calcaires et de Marnes de Sainte-Marguerite (roche sédimentaire composée de calcaire et d’argile en proportion à peu près équivalente) datant de l’Oligocène (en rose rayé – Carte n°2), où se mêlent des colluvions de versants du Quarternaire (en jaune crème – Carte n°2).

De l’autre côté du village, les parcelles situées aux lieux-dits « Bois long » et « Les Usclades » ont des sols datant du Trias (en orange – Carte n°2) composés d’argilites dolomitiques gypseuses et de calcaires dolomitiques ; celles situées au lieu-dit « les Gippières » ont des sols datant de l’Oligocène composés de conglomérats calcaires, d’argiles et de sables fins (en rose sur la Carte n°2), tandis que la dernière parcelle située au lieu-dit « Entrevon » (tout au nord de la Carte n°2) offre un sol datant du miocène inférieur (-23 millions d’années) composé de calcaires gréseux.
Les vignes bénéficient d’un environnement riche en biodiversité, où les arbres et les haies forment une barrière climatique et limitent naturellement la productivité des ceps: c’est le principe de l’agroforesterie appliqué à la culture de la vigne. Mirabelliers, genêts, thym, et lavande mêlent joyeusement leurs branches aux feuilles des vignes, formant une « zone écologique réservoir » comme on en trouve encore dans le vignoble de Chavignol (dont vous pouvez lire l’article ici).

Les plantes aromatiques communiquent aux vignes des arômes de garrigue perceptibles dans les vins, et les arbres concurrencent fortement les ceps qui ne produisent qu’à très faible rendement, aux alentours de 20hl/ha.

De tels rendements ne permettent pas de produire de grosses quantités, mais force est de constater que les attaques des maladies de la vigne se font plus rares, car les grappes sont bien espacées et correctement aérées. La qualité des raisins ainsi obtenue est exceptionnelle: de petits grains à la peau parfaitement lisse, sans défauts, présentant une maturité optimale. L’exposition Nord-Ouest des parcelles sur les coteaux du Mont Ventoux associée au climat montagneux assurent une fraîcheur nocturne bienvenue, et procurent aux raisins une belle acidité.

Vignes de Saint-Jean du Barroux – Enherbement, orchidées sauvages, haies et bois environnants. Photo: Ph. Gimel

La maîtrise de la rafle

Philippe produit trois vins rouges de concentration croissante: plus on monte en gamme, plus les baies des raisins sont petites et la proportion de rafles ajoutées pendant la vinification est importante.

La rafle, justement, il en a la maîtrise ; là où la plupart des vignerons suppriment ce petit squelette végétal, Philippe au contraire en exploite la généreuse substance pour donner à ses vins de la densité et de la richesse.

Photo: Ph. Gimel

Il les trie avec précaution, afin de n’en garder que les plus mûres: « Lorsqu’elles sont bien mûres, m’explique-t-il, les rafles dégagent des odeurs d’épices enivrantes au moment où on les coupe ! ». Elles sont le secret de cette matière soyeuse et enveloppante en bouche.

En conséquence, nul besoin d’une longue cuvaison, les macérations ne durent qu’une dizaine de jours. Le moût est fermenté et élevé en cuves béton ou émaillées: Philippe n’utilise pas de fûts de chêne pour ne pas marquer ses vins rouges, il ne travaille qu’avec des contenants neutres qui permettront au jus d’exprimer pleinement le terroir.

J’ai rarement dégusté de vins rouges aussi identitaires. Ce sont des vins de gastronomie qui réclament une attention toute particulière. Un carafage de quelques heures s’imposent dans leur jeunesse (dans les 5 à 8 années qui suivent le millésime), je conseille même fortement de les déboucher la veille au soir à température de cave afin que le jus puisse s’aérer et s’équilibrer en toute tranquillité.

Quant au potentiel de garde de ces petites merveilles, il varie entre 10 et 20 ans, de quoi mettre notre patience sérieusement à l’épreuve  !

Les vins

Le domaine est certifié Agriculture Biologique depuis le début de son activité. Philippe y tient: cette certification est pour lui une façon de garantir au consommateur que son vin est propre.

La Pierre Noire est la cuvée la plus concentrée du domaine, elle est élaborée à partir des baies les plus petites éraflées à seulement 10%, et l’élevage est d’environ 3 ans. L’Argile (anciennement connue sous le nom d’ « Oligocène » ) est une cuvée intermédiaire faite à partir de baies un peu plus grosses que celles de Pierre Noire et où seulement 1/3 des rafles sont conservées dans le moût. L’élevage dure environ 2 ans à 2 ans 1/2.
Quant à La Source, elle est la plus « immédiate », élaborée avec les baies les plus grosses et les plus juteuses de la récolte que l’on aura pris soin d’égrapper totalement. La macération dure 7 jours au maximum, et l’élevage est d’environ 1 an 1/2. Cette cuvée que Philippe qualifie de « light » a tout de même un potentiel de garde d’une bonne dizaine d’années….

Et les blancs ?

Philippe produit également deux vins blancs à base de Grenache blanc, Bourboulenc, et Clairette: « La Montagne » et « Oxygène ». Leur production est extrêmement limitée malgré les quelques pieds de vignes supplémentaires obtenus cette année. Ces vins ne sont commercialisés qu’après 8 ans de vieillissement en bouteille: ces derniers, en effet, s’ils ne sont pas bus dans le courant de l’année qui suit leur mise en bouteille, se ferment complètement pendant ces huit années au bout desquelles ils s’ouvrent à nouveau: leur aromatique est alors proche de celle des vins doux.

La cuvée actuelle de La Montagne étant de 2016, peut-être la verrons-nous sur nos tables dans six ans…. Quant à la cuvée Oxygène, elle porte bien son nom puisque ce vin sera un vin de voile, un blanc non ouillé : « il m’est possible de faire du vin non ouillé car je bénéficie déjà d’un climat de montagne m’apportant la fraîcheur suffisante pour que le voile se forme correctement », m’explique Philippe. La patience est de mise…