LA VINIFICATION EN AMPHORES
Un peu d’histoire…
Les plus anciens ustensiles connus ayant pu servir à faire du vin datent du Vème et VIème millénaires. Ils proviennent de la région située au nord du Caucase, c’est-à-dire la Géorgie et l’Arménie actuelles. Différents contenants étaient utilisés dans l’Antiquité pour la vinification du vin et son transport. Les Géorgiens utilisaient de grandes jarres de terre cuite pour la vinification et la conservation du vin, appelées « Qvevris » et toujours utilisées à l’heure actuelle. Elles étaient – et sont encore – enterrées dans les maisons et scellées par un couvercle en bois ou en pierre.
Pour vinifier et élever leur vin, les Romains utilisaient également de grandes jarres de terre cuite, appelées « Dolia », d’une contenance d’environ 3000 litres, mesurant 2 mètres de haut, aux parois intérieures poissées, et qu’ils enterraient dans les jardins des maisons. Les jarres et amphores étaient plutôt destinées au transport du vin (et autres denrées).
Les Jarres de terre cuite
Les jarres de terre cuite sont des contenants majoritairement utilisés par les vignerons français pour la vinification et/ou l’élevage de leur vin. Leur contenance varie de 150 litres à 1000 litres.
Plusieurs potiers français les fabriquent:
– La maison Terre d’Autan, potier de Castelnaudary, fabrique deux types de jarres :
- Une jarre d’environ 150 litres, à col étroit, destiné à l’élevage du vin
- Une jarre de 300 litres, à large ouverture avec couvercle, destinée à la macération du vin.
– Alain Berthéas, potier depuis 2007 à Séguret, fabrique des amphores d’une contenance d’environ 400 litres: ce sont celles utilisées par le domaine Viret entre autres.
– «Vins et Terre», situé à Villenave d’Ornon, fabrique différents contenants à partir d’argile Toscane. Il propose des jarres vinaires de 200 à 800 litres, des œufs en terre cuite de 225 à 700 litres, ainsi que des dolia ou Qvevris de 1000 à 3000 litres. Le vigneron des domaine Sainte Barbe et domaine des Chazelles (Viré-Clessé) utilise les jarres vinaires de 800 litres pour la vinification de son Chardonnay à l’origine de la cuvée « Thurissey ».
Pourquoi choisir une jarre de terre cuite ?
Les jarres de terre cuite sont surtout utilisées par les vignerons engagés dans une démarche biodynamique, cette dernière permettant en effet de limiter au maximum les interventions de toute sorte : pas d’intrants, pas de corrections œnologiques. Tout se déroule de la façon la plus naturelle qui soit. La porosité de la terre cuite offre au moût une oxygénation régulière, comme la barrique de chêne, mais au contraire de cette dernière, ne lui apporte ni goût, ni odeur, ni boisé d’aucune sorte. Les jarres sont en effet censées être neutres. Elles permettent en outre de réduire l’acidité du vin et d’en arrondir les tanins parfois trop agressifs.
Selon les vignerons, les vins sont soit vinifiés et élevés en jarres de terre cuite, soit vinifiés dans un contenant classique (cuve béton ou inox) puis élevés en jarre de terre cuite.
Les Qvevris
Les Qvevris sont de grandes jarres de terre cuite utilisées en Géorgie pour la vinification et l’élevage du vin. Les plus anciens Qvevris géorgiens ont environ 6000 ans, et sont le témoignage d’une tradition de vinification qui s’est transmise de génération en génération jusqu’à aujourd’hui.
La capacité d’un Qvevri varie de 2 à 3 litres jusqu’à 6000 ou 8000 litres, mais ils pouvaient atteindre une contenance de 10 000 à 15 000 litres dans l’Antiquité. Les parois intérieures sont recouvertes de cire d’abeille afin de le rendre étanche tout en le laissant suffisamment poreux pour les échanges gazeux. Les parois extérieures sont recouvertes de chaux afin de garantir une certaine stabilité thermique. Les jarres sont ensuite enterrées jusqu’au sommet et scellées par un couvercle de bois ou de pierre.
Le domaine Bannwarth, en Alsace, en possède huit destinées à la vinification et l’élevage d’une partie de ses raisins.
Quels sont les avantages d’un Qvevri ?
- Le premier avantage des Qvevris est de garantir une température quasi-constante pour la fermentation et l’élevage du vin, les variations entre l’été et l’hiver n’étant que de quelques degrés. Ces contenants ne nécessitent aucune infrastructure coûteuse de maintien de température (chauffe ou refroidissement du moût), contrairement aux chais modernes utilisés en France.
- Le second avantage est la fermentation totalement naturelle du vin, ne nécessitant aucun intrant ou agent chimique d’une quelconque sorte. La fermentation alcoolique se déclenche naturellement sous l’effet des levures présentes sur la peau des raisins et de la température légèrement plus élevée à celle de l’extérieur, et que la présence de chaux sur les parois extérieures de la jarre maintient constante suffisamment longtemps pour que la fermentation malolactique se déclenche à son tour.
La fin des différentes fermentations provoque une baisse de température souvent accentuée par les températures hivernales, permettant ainsi une clarification naturelle du vin par une précipitation de l’acide tartrique. (source : publication de la Farming Association « Elkana », Géorgie).
Les vins vinifiés en Qvevri n’ont rien de commun avec ceux vinifiés traditionnellement en fût de chêne, ils ne correspondent à aucun standard. En revanche, ils se laissent facilement apprivoiser à qui les déguste sans préjugés ni a priori. Le résultat est juste fascinant.
Les amphores béton ou œufs béton ou cuves ovoïdes
Tout démarre en 2004, à la suite d’une lecture sur les méthodes de vinification romaines. Daniel Schlaepfer, co-propriétaire du domaine des Lauzières est séduit par l’amphore et veut tenter l’aventure d’un élevage de ses vins dans des jarres de forme identique à celles des romains. Un premier prototype d’«amphore béton» sort. Entièrement faites en ciment naturel, à base d’argiles et de sables lavés à l’eau de source, ces cuves ont une contenance de 675 litres, soit l’équivalent d’environ trois barriques de chêne. Elles ne sont destinées qu’à l’élevage du vin.
Avec l’œuf béton, aucune fragrance étrangère ne vient marquer le vin, contrairement au fût de chêne qui généralement apporte au moût des arômes toastés et vanillés. Le béton présente une porosité naturelle permettant la micro-oxygénation du vin. Sa forme ovoïde et dépourvue d’angles favoriserait en outre le mouvement dit « brownien », c’est-à-dire le déplacement des particules dans un fluide: les lies seraient ainsi remises en suspension de façon spontanée sous forme de vortex, supprimant toute nécessité de bâtonner. Il faut ajouter à cela l’absence d’armatures métalliques qui cerclent habituellement les barriques de chêne, provoquent des cages de Faraday et gênent la bonne circulation des lies.
L’œuf béton est un contenant qui favorise l’expression du terroir et du fruit. Le vin a « davantage de droiture, de rectitude, de minéralité et de fruit », nous dit Daniel Schlaepfer. L’intervention technologique minimaliste impose une qualité de raisins sans faille pour que le jus exprime tout son potentiel aromatique puisé dans la terre nourricière.
Que penser de l’œuf béton ?
L’œuf béton est sujet à de nombreuses discussions, à savoir: peut-on le considérer comme une amphore ? Les avis divergent à ce propos. Les protagonistes des jarres en terre cuite disent que l’œuf béton n’est pas une amphore, les utilisateurs des œufs béton disent le contraire…
Reprenons depuis le départ. Le mot « amphore » vient du grec « amphora » signifiant « que l’on porte des deux côtés» et qui désigne un vase à deux anses symétriques, au col rétréci, avec ou sans pied, servant à conserver ou à transporter les aliments.
Il est évident que nos ancêtres ne connaissaient pas le béton et que la matière constituante d’une amphore était généralement la terre cuite. En cela, on pourrait se dire qu’un œuf béton ne peut donc pas être considéré comme une amphore.
Toutefois, les jarres de terre cuite utilisées par les vignerons ne ressemblent pas non plus à une amphore, elles ne possèdent pas d’anses symétriques. Elles correspondent en réalité, par leur forme, leur mode de conception et leur matériau, aux dolia que les romains enterraient dans leur jardin. A l’exception près que les vignerons n’enterrent pas leurs jarres de terre cuite, sauf ceux qui possèdent des Qvevris.
Ce qui lie l’œuf béton à la jarre de terre cuite, ce sont leur « […]forme et gabarit calculés d’après les règles du Nombre d’or (1.618), utilisé depuis l’Antiquité par des architectes, des peintres et des artistes pour réaliser des œuvres aux proportions parfaites. […] » (extrait de l’article de Patricia Briel – quotidien suisse « Le Temps » – 11 juin 2009).
Les vins vinifiés en Qvevri sont ceux qui se rapprochent le plus de ce qui se faisait dans l’Antiquité, puisque ces derniers sont enterrés tels que l’étaient les dolia romains.
Ce qu’il faut retenir, c’est que les vins en amphores sont des vins vinifiés et/ou élevés dans des contenants dont la forme et le gabarit sont semblables à ceux des dolia utilisés dans l’Antiquité, mais dont le matériau diffère (béton ou terre cuite) ainsi que leur mode de gestion (jarres aériennes, enterrées, ou semi-enterrées).
À lire également, ce très bel article du magazine La Vigne (novembre 2016): Portugal, le retour des amphores « Pour respecter la tradition, nous avons lancé l’AOC Talha. Les amphores et le vin des origines sont notre richesse. Nous devons les protéger ».
Et pour cause, les amphores locales (talhas do Alentejo) représentent aujourd’hui un patrimoine de grande valeur qui permet de perpétuer un savoir-faire unique pour des vins rares, originaux… et chers !
La Vigne – Portugal, le retour des amphores – 2016
La Revue du Vin de France – Le retour des vins élevés en amphores – 2011