Je vous avais déjà présenté succinctement le domaine dans mon précédent article « Château Beauséjour – Tenue de soirée exigée ! ». Le temps passant, et au gré des discussions que j’ai pu avoir avec Pierre Bernault, il m’a paru intéressant de parler de son terroir, de ses vignes et de ses vins.
Les cuvées du domaine ont une patte, elles m’ont fortement réconciliée avec les vins de Bordeaux, car elles sont loin, très loin des caricatures que l’on peut boire dans les communes dites « satellites » de Saint-Emilion.
Il y a quelque chose, dans la terre, dans les vignes, ou dans la façon de faire qui les différencie des autres…

Petite visite du domaine

Le Château est une vieille bâtisse construite en 1891 dont l’architecture actuelle n’a pas bougé depuis 1924. Entourée d’un joli parc de 3 hectares, elle vieille farouchement sur les vignes qui la bordent. Les parcelles attenantes sont ceintes de murets qui en font des clos. Depuis le péron, on peut observer l’église Saint Martin du village de Montagne, classée Monument Historique. Les levers et couchers du soleil l’illuminent chaque jour, pour le plus grand bonheur du propriétaire, Pierre Bernault.

Les Parcelles

Les vigne se répartissent sur 12 hectares au total. Les parcelles, représentées en jaune ci-dessous, sont majoritairement attenantes au château, à l’exception d’une ou deux, un peu plus éloignées.

Figure 1: Répartition des Parcelles du Château Beauséjour à Montagne.

Les raisins de la parcelle du Clos de l’Eglise entrent dans la composition de toutes les cuvées du domaine, auxquels s’ajoutent ceux des parcelles Moulin (située sur la butte de Calon) et Caillou pour les cuvées Habit Rouge, La Petite Robe Poivrée, Château Beauséjour, et le Charme.

Les raisins de la parcelle Paradis sont assemblés avec ceux de la parcelle Clos de l’Eglise pour l’élaboration de la cuvée Habit Noir et les raisins du Clos 1901 – ou Barrail d’Arrialh – sont assemblés à ceux des parcelles Clos de l’Eglise et Paradis pour l’élaboration de la cuvée 1901.

Le Clos de l’Eglise avec vue sur le Château, au fond. Photo: Pierre Bernault.

Vue de la parcelle du Moulin. Photo: Pierre Bernault.

Le Terroir

Les sols de Montagne offrent des terres argilo-calcaires dans lesquelles Merlot et Cabernet Franc se plaisent très bien.

Figure 2: Géologie des sols de Montagne.

Le terroir occupé par le vignoble du Château, dont les parcelles sont repérées en rouge sur la figure n°2, est composé de calcaires à astéries symbolisés sur la carte ci-dessus par la zone rose à pois jaunes et repérés par le sigle géologique g2B. Cette formation marine d’une épaisseur de 10 à 15m date de l’Oligocène inférieur (-34 Millions d’année). Elle est entourée d’une formation fluvio-lacustre datant de la même ère géologique, que l’on a représentée en violet pâle sur la carte et identifiée par le sigle géologique g1C: il s’agit d’argiles et de calcaires de castillon.

Calcaire à astéries. Photo: Pierre Bernault.

Le calcaire à Astéries (g2B) est une roche de couleur jaune qui contient de minuscules étoiles de mer fossilisées, ou astéries, et de divers coquillages, dont les dépôts ont eu lieu lors d’une transgression marine (montée des mers) à l’Oligocène, tandis que la formation des calcaires de castillon (g1C) aura lieu lors d’une régression marine (retrait de la mer).

Pour rappel, la période de l’Oligocène se caractérise par une incursion marine brève en Europe provoquée par la dérive des continents. On y compte également une présence considérable de lacs et lagunes formés au gré des mouvements océaniques. Comme le montre la carte géologique ci-dessous (Figure 3), les environs de Bordeaux se trouvaient alors sous les eaux de l’Océan Atlantique, avec un climat chaud et tempéré .

Figure 3: L’Aquitaine au Rupélien, étage géologique de l’Oligocène – source: https://si-graves-montesquieu.fr//

Les Vignes

Le Vignoble se compose de Merlot, qui représente 70% de l’encépagement, et de Cabernet Franc, deux cépages de prédilection du libournais, reconnus pour leur rondeur et leur capacité à vieillir plus rapidement que le reste des cépages bordelais.

Mais au-delà de ça, il faut souligner que le vignoble de Beauséjour offre une « mixité générationnelle » peu classique: les plus vieux ceps datent de 1901, facilement reconnaissables à leur tronc noueux, épais, et moussu. Ils côtoient, à certains endroits, des plants adolescents au port plus incertain et fragile qui les ont rejoint entre 1924 et 2002… Voilà de quoi se faire plaisir pour les assemblages des différentes cuvées !

Vignes du Clos 1901, derrière le château. Photo: Pierre Bernault.

Les Vins

Six cuvées sont disponibles au Château. Elaborées de façon différente et judicieusement assemblées, elles offrent une palette aromatique et un style bien distincts, et il y en a pour tous les goûts.
Pour cela, Pierre Bernault joue sur plusieurs paramètres à la fois:

1.  le pourcentage de Merlot et Cabernet Franc entrant dans l’assemblage: Merlot majoritaire d’un côté, ou bien Merlot et Cabernet à égalité de l’autre, sans oublier les cuvées monocépages, ça c’est la petite cerise sur le gâteau.
2.  l’assemblage des parcelles, en fonction de l’âge des vignes, certaines cuvées sont un mélange de vignes d’âges différents tandis que d’autres ne sont issues que de vieilles vignes.
3.  les fûts servant à l’élevage: la plupart des vins sont élevés dans des barriques de plusieurs vins, et pour ceux qui sont assemblés avec des fûts neufs, la proportion de fût neuf varie en fonction de l’intensité du boisé que l’on souhaite obtenir.

Habit rouge et Habit noir sont les deux cuvées monocépages du domaine: le rouge pour le Merlot, le noir pour le Cabernet Franc. Elles se destinent de préférence aux amateurs qui privilégient les vins fruités: elles n’ont, à dessein, aucun fût neuf dans la composition de l’assemblage. Le millésime 2015 d’Habit noir offre une particularité, son fruité est intense et très prometteur, quelques années de repos en cave lui permettront de développer de beaux arômes tertiaires et d’en faire un vin dense et complexe.

La cuvée 1901 est un assemblage de Merlot et de Cabernet Franc en proportion identique. Pas de dominant donc, la grande caractéristique étant l’âge centenaire des vignes qui la compose, ce qui signifie des rendements extrêmement faibles pour une complexité aromatique digne d’un grand cru. C’est également le vin qui contient le plus de fût neuf, environ 10%, pour lui apporter juste ce qu’il faut de boisé.

Château Beauséjour, la cuvée principale, est composée des plus beaux raisins du domaine, avec le Merlot majoritaire à 80%. Il contient la proportion la plus élevée de Merlot parmi les autres cuvées d’assemblage. 5% de fût neuf lui apporte également une touche discrète de boisé totalement maîtrisé. L’équilibre est parfait.

Le Charme,  second vin du domaine, et La Petite Robe Poivrée sont des cuvées également issues de Merlot majoritaire, à hauteur de 70%, mais l’élevage a lieu dans des fûts de un, deux et trois vins, afin que le bois ne marque pas le jus.
La Petite Robe Poivrée n’est généralement disponible que pour des millésimes vieux d’une dizaine d’années. Elle se destine aux amateurs de vins en plein apogée.

Chaque cuvée présente une forte identité, et leur nom en évoque bien souvent le caractère: un profil aromatique avec dominante poivrée pour la petite robe poivrée, du fruit rouge pour la cuvée Habit rouge, du fruit noir pour Habit noir, et une belle complexité pour les trois autres cuvées avec montée de gamme à chaque fois: Le Charme, Château Beauséjour, et 1901, la cuvée « très » vieilles vignes du domaine.

L’excellence des vins produits trouve, sans nul doute, une partie de son origine dans le terroir argilo-calcaire de Montagne, mais mon intuition me dit que le jeu des assemblages orchestré par Pierre Bernault y est pour beaucoup dans le résultat final !


Sources bibliographiques

BGRM, Carte géologique de la France – Libourne – 1995