On entend surtout parler de macération carbonique dans le Beaujolais, et plus particulièrement pour le fameux Beaujolais nouveau: la macération carbonique est une technique de vinification qui exploite la capacité naturelle d’ « auto-fermentation » du raisin, sans intervention des levures, du moins en théorie. Son principal intérêt se situe sur le plan aromatique, car elle permet d’obtenir des vins aux parfums très caractéristiques.
LA MACÉRATION CARBONIQUE – Présentation
Avant de parler de la macération carbonique, il convient de rappeler le principe de base de la fermentation du raisin par les méthodes de vinification classiques.
La vinification traditionnelle: fermentation alcoolique par les levures.
La fermentation alcoolique classique fait intervenir les levures présentes sur le raisin et dans les cuves: ces dernières transforment le sucre du raisin en alcool, opération qui s’accompagne d’une production de CO2, de chaleur, et de composés aromatiques.
Les levures ont la capacité d’utiliser l’énergie provenant de la dégradation des sucres, soit par voie respiratoire, soit par voie fermentaire. Mais dans un milieu saturé en glucose, le processus de dégradation des sucres par respiration est bloqué au profit de celle par fermentation alcoolique. C’est ce qui se passe dans le moût de raisin frais: après foulage, le moût est tellement riche en sucre que les levures ne peuvent que le dégrader par le processus de fermentation. C’est la raison pour laquelle la fermentation des raisins démarrent très rapidement avant de décroître jusqu’à un arrêt prématuré (généralement au bout de 14 jours). Une aération dite « maîtrisée » (ajout d’une certaine dose d’oxygène, ou opérations de pigeage du moût) va permettre de mener la fermentation jusqu’à son terme, au-delà des 14 jours.
La vinification par macération carbonique.
Tous les organes végétaux respirent: c’est le métabolisme aérobie. Ils puisent l’énergie nécessaire à leurs fonctions vitales par la respiration: ils utilisent l’oxygène pour décomposer les molécules de sucres en eau et en CO2. Mais en absence d’oxygène, certains végétaux adoptent un métabolisme anaérobie (MA), se traduisant par la production d’éthanol à partir des sucres. C’est le cas des levures, telles que la mycoderma cerevisiae, impliquées dans la fermentation alcoolique décrite plus haut.
La baie de raisin, placée entière et intacte dans une atmosphère de C02, développe aussi ce métabolisme anaérobie. Différents phénomènes chimiques entrent en jeu, transformant le sucre du raisin en énergie et en éthanol, tout en libérant également du CO2. Mais contrairement à la levure, la baie de raisin résiste mal à l’éthanol dont la production s’arrête assez rapidement. La capacité d’un raisin à produire plus ou moins d’éthanol par métabolisme anaérobie dépend de la nature du cépage.
La macération carbonique est donc une technique de vinification où la production d’alcool se fait sans intervention fermentaire des levures, mais par déclenchement du métabolisme anaérobie du raisin en l’absence d’oxygène. Elle se déroule en deux étapes:
1. La cuve est remplie de raisins entiers avec les grappes et placée sous atmosphère de CO2 pendant 8 à 15j. Il y a consommation spontanée du sucre des raisins avec production de C02 et d’alcool.
2. la cuve est ensuite vidée, le marc est pressé, le vin de presse (jus issu du pressurage du marc) et le vin de goutte (jus qui s’écoule naturellement de la cuve) sont assemblés pour subir une fermentation alcoolique normale, suivie de la fermentation malolactique.
D’une façon générale, on décrit la macération carbonique comme un processus de vinification dans lequel aucune levure n’est impliquée. Mais ce n’est pas tout à fait exact, car il est impossible de ne remplir une cuve que de raisins entiers: certains sont écrasés au fond du contenant par le poids des grappes et le jus qui se libère des baies écrasées subit une fermentation alcoolique normale. Par conséquent la première étape de la macération carbonique décrite ci-dessus s’accompagne toujours d’une intervention fermentaire levurienne qu’il faut essayer de limiter au maximum.
Une variation de cette technique est fréquemment employée dans le beaujolais, il s’agit de la macération dite « semi-carbonique ».
Le principe est quasiment le même, mais au lieu de remplir la cuve de gaz carbonique, c’est le C02 produit par la fermentation alcoolique des baies écrasées au fond de la cuve qui va remplir progressivement tout le contenant hermétiquement fermé. Les grappes encore entières situées au sommet se retrouvent très vite en milieu anaérobie et vont déclencher le métabolisme anaérobie. La proportion de fermentation alcoolique levurienne par rapport au métabolisme anaérobie est plus importante par cette méthode que par celle de la macération carbonique décrite ci-dessus.
INTÉRÊT DE LA MACÉRATION CARBONIQUE ?
La vinification par macération carbonique fut initiée en 1935 par Michel Flanzy, oenologue français et directeur de la station de recherche oenologique de L’INRA à Narbonne. Elle est principalement employée pour la vinification des vins rouges primeurs dans le Beaujolais, mais son utilisation s’étend de plus en plus à d’autres régions viticoles, car elle permet de vinifier des cépages rustiques qu’une macération excessive classique rendrait durs et sans finesse. En revanche, cet allègement de structure peut parfois conduire à une maigreur excessive.
L’un des principaux buts recherchés avec la macération carbonique est le développement d’arômes typiques parmi lesquels on retrouve ceux de la vanille, du caramel, de la girofle et surtout de la cannelle. Ces derniers apparaissent grâce à l’action simultanée du métabolisme anaérobie et de la fermentation levurienne.
En outre, les vins issus de macération carbonique se remarquent par leur souplesse, leur rondeur, leur moelleux, mais ils sont généralement à boire dans l’année, ils ne sont pas destinés à vieillir. C’est la raison pour laquelle cette méthode de vinification est majoritairement destinée aux vins primeurs et comme elle s’adapte particulièrement bien au cépage du Gamay, elle est largement pratiquée par les vignerons dans le Beaujolais. Elle est également utilisée pour l’élaboration de certains rosés et pour les vins doux naturels.
On peut toutefois lui reprocher d’uniformiser le goût des vins et de ne pas mettre en valeur la typicité de certains cépages fins. Cette méthode dépend énormément des cépages à qui on l’applique, si l’on en croit les résultats d’un test de vinification de macération carbonique réalisée par l’INRA en 1952 sur des raisins de muscat qui auraient donné un vin sec nettement plus aromatique que ceux produits par fermentation classique.
Le reste est essentiellement une question de goût et tout dépend aussi de l’occasion choisie pour boire ces vins rouges primeurs. Ils ont l’extrême avantage d’être frais, gouleyants et très fruités, idéals pour des grillades ou des repas sans prétention en présence de nombreuses convives. Il ne sont en revanche pas adaptés à des repas gastronomiques, la faible complexité aromatique du vin ne permettant pas une mise en valeur de plats à texture riche ou longuement mitonnés.
ET POUR LES VINS BLANCS ?
On a précédemment dit que la macération carbonique était réservée à l’élaboration de vins rouges primeurs, mais on peut aussi l’appliquer aux cépages blancs, certains Muscats de Rivesaltes sont actuellement élaborés par macération carbonique (cépage muscat d’Alexandrie).
En 1952, le rapport de l’INRA relate les premiers tests effectués par Colmar sur les cépages blancs alsacien d’Auxerrois blanc et de Traminer, mais le résultat ne semble pas concluant, « les moûts après 1 jour de macération paraissaient durs ».
Récemment, Mathieu Deiss, vigneron alsacien de la célèbre maison Marcel Deiss, a élaboré la cuvée « Singulier » à partir d’un assemblage de riesling et de pinots (pinot gris, pinot noir et pinot blanc) vinifiés par macération carbonique. Le vin est une très belle réussite, il offre des arômes agréables de raisin frais et de mirabelle bien mûre. La structure est légèrement tannique, la présence des peaux et des rafles imposée par cette technique de vinification apporte de la matière et une belle couleur orangée. Un élevage sur lies d’un an lui permet de gagner en complexité et lui confère un beau potentiel de garde.
PEUT-ON FAIRE DES VINS ROUGES DE GARDE PAR MACÉRATION CARBONIQUE ?
Les essais de vinification par macération carbonique se poursuivent, des études sont en cours sur la possibilité de créer des vins rouges de garde par cette méthode ; la macération semi-carbonique permet déjà de conférer un potentiel de garde intéressant aux vins de Beaujolais, parce qu’elle fait intervenir une part de fermentation levurienne plus conséquente que la macération carbonique.
L’édition n° 191 de Revue Française d’Oenologie de 2001 décrit différents tests effectués sur des vins de Syrah de 1995 et 1996, et révèle que l’obtention d’un vin de garde est possible si le moût, après la phase de macération carbonique, est maintenu en contact avec les parties solides pendant 10 jours au cours desquels on effectue un remontage quotidien pour favoriser l’éclatement des baies restées encore entières. Ce contact prolongé entre phase liquide et solide conduit à des vins plus complexes et plus aromatiques, avec une structure plus affirmée mais sans être agressive.
Voilà de quoi encore élargir la palette aromatique des vins proposés…
Sources bibliographiques
Revue Française d’Oenologie – N° 191, Vins de garde élaborés par macération carbonique – 2001 –
P. Ribéreau-Gayon, D. Dubourdieu, B. Domèche, A.Lonvaud, Traité d’Oenologie – Tome 1 – 6è édition – 2012
L. Pasteur, Faits nouveaux pour servir à la théorie de la fermentation – 1872